A mes yeux la traction a toujours été un mythe. Adolescent, je rêvais d'en possèder une. Le rêve se réalisa lorsque je décrochai le bac. Mon père contacta un de ses collègues, collectionneur de voitures anciennes, qui lui indiqua , quelques mois plus tard, un particulier désireux de vendre une traction avant dans la région messine. L'affaire fut rapidement conclue pour 3000 francs de l'époque, et je me retrouvais ainsi en possession d'une traction avant, certes un peu défraichie mais complète et roulante.
Mon père, ancien mécanicien automobile, avait travaillé dans les années 50 sur ce type de voitures. Il entreprit un début de restauration : dans un souci de sécurité, révision totale du système de freinage, puis quelques travaux de carrosserie, comme le remplacement d'une partie de l'aile avant droite et le masticage de quelques petites bosses. Le moteur reçut une couche de peinture verte, la caisse mise en apprêt, avant de recevoir sa peinture définitive dans l'atelier d'un carrossier professionnel. Un garage fut aménagé dans une remise pour recevoir la voiture fraichement refaite.
Par la suite, j'ai finalement assez peu profité de mon véhicule. Pris par mes études, puis le service militaire, je n'avais que l'occasion de faire quelques tours de roues, les week end. Puis les années passèrent, pour raisons professionnelles, je partis m'installer ailleurs, mais la voiture resta sur place. Elle ne fut plus démarré que par intermittence, et à ce régime, la batterie rendit l'âme. C'était le début d'une longue mise en veille. Bien des années plus tard, à la fin des années 90, je rapatriai la voiture à mon domicile ( pour laquelle j'avais au moment de la construction de ma maison prévu un emplacement spécialement pour elle). Mais je n'avais pas encore le temps ni la motivation suffisante pour attaquer sa remise en état.
Finalement pendant l'été 2008, après avoir constaté que grâce à internet, je pouvais avoir accès à une multitude de renseignements,de documents ou de pièces détachées,je pris la décision de m'attaquer à ce chantier que je savais long et sans doute plein de surprises.
Depuis l'achat de la voiture, j'ai toujours été convaincu de possèder une 11 BL 38,comme l'atteste la carte grise l'atteste.
J'étais bien capable, comme beaucoup de non initiés, de faire la différence entre une légère, une normale ou une familiale, mais sans plus. Lorsque je pris la décision de restaurer le véhicule, j'ai commencé évidemment par chercher de la documentation, d'abord sur internet, puis dans des ouvrages spécialisés : le guide de la Traction de Jérôme Collignon et la Revue Technique Automobile . J'ai donc appris l'existence et l'importance des plaques d'identification en aluminium sur le jambonneau droit. Voici ce que j'ai découvert à l'endroit indiqué.
Toujours novice, je cherchais vainement le numéro,que j'avais eu beaucoup de mal à déchiffrer sur l'unique plaque, dans la liste des numéros de série trouvée sur internet. C'est là que j'ai compris que la plaque en question n'était pas la plaque de série, mais la plaque de coque.
Et à ma grande surprise, ce numéro correspondait à une "7" et en plus de l'année 36 ou 37 et c'est ce numéro qui figure sur la carte grise en tant que numéro de série.
Cette découverte attisait ma curiosité, et me poussait à approfondir mes recherches pour identifier et dater de manière plus précise ce véhicule . Après un certain nombre d'heures passées à compulser les ouvrages de J. Collignon ou de O. de Serres et à parcourir tous les sites internet qui évoquent peu ou prou le sujet, je n'ai toujours pas pu acquérir de certitude définitive.
Je n'en vois qu'un : le moteur. Il s'agit bien d'un "11 CV", comme le montrent les photos, sorti de fonderie en octobre 37, ce qui est cohérent avec une voiture de 38.
Cet argument n'a que peu de poids au vu de l'interchangeabilité des moteurs.
- Le numéro de coque: AQ 3166 qui est sans conteste possible celui d'une '7"
Le numéro de coque permet de aussi de dater approximativement la date de fabrication du véhicule.
Dans " Citroën traction au panthéon de l'automobile", page 440, il est indiqué qu'en 1937, la "7" portant le numéro de coque AQ 3285 avait le numéro de série 099 968. On peut penser que le véhicule de numéro de coque AQ 3166, très proche de celui cité plus haut, a aussi été produit en 1937. Des véhicules avec un numéro de coque en AQ ont aussi été produits en 1936, mais les autres caractéristiques du véhicule indiquent clairement que la voiture est postérieure à l'année 1936.
Toujours dans " Citroën traction au panthéon de l'automobile", j'ai trouvé p 56 que l'année 1937 commence au numéro 93001 pour les "7" et s'arrête au numéro 100 000 ( les numéros à partir de 100 000 étaient reservés au 11A) au mois de juin pour reprendre aussitôt à 200 001 pour terminer à 204 300 au 31/12/37.
On peut donc raisonnablement penser que la voiture n° 99968 a été fabriquée au cours du mois de juin ( 7000 voitures produites en 6 mois, soit plus de1000 par mois) et que ma voiture,dont le numéro de coque est antérieur de 119 unités, est sorti des chaines tout au plus quelques jours auparavant.
Les autres arguments en faveur d'une "7" sont moins probants, d'autant plus que j'en ai peut être mal interprété certains :
- Le motif du drap garnissant les portières, visible ci dessous
Si j'ai bien compris les schémas de J. Collignon, dans "le guide de la traction", page 100, ce motif correspondrait à celui d'une "7" et non d'une "11L"
- Toujours d'après le même ouvrage, p96, il est spécifié que de juin 36 à janvier 39, il n'y a pas de motif dans les portes pour les "7", alors que sur les "11 L", on trouve le motif "comète soulignée en simili marron". Voici le panneau de porte original , on voit pas de motif comète.
- Pour finir avec l'intérieur, on lit à la page 89 dans "le guide de la traction" qu'après juin 36 les tiges de vitesse sont à poire marbrée marron sur les "7", et que sur les "11" on trouve les mêmes poires marbrées mais toujours de couleur verte. La photo ci dessous montre la poire équipant ma voiture : elle n'est pas franchement de couleur marron, mais visiblement pas verte non plus. Est elle d'origine ou est ce une pièce rapportée ?
- D'après le catalogue des pièces détachées, jusque décembre 37, les tambours avant sont en 10" sur les "7" et essentiellement en 12" sur les "11". Les tambours de mon véhicule sont en 10".
- Enfin les roues sont montées en 155 X 400. Bien qu'étant fort probablement sortie avant le 15 janvier 1938, la voiture est équipée de roues pilotes. Ce changement de roues s'est effecué à une période qu'évidemment j'ignore, mais le fait qu'on ait monté des pneus correspondant à une "7" et non d'une "11" ( 165 X 400) peut laisser supposer qu'à cette époque, la voiture était encore une "7".
Officiellement la voiture a été immatriculée en 1938. Les observations exposées plus haut laissent penser qu'elle est plutôt datée du milieu d'année 37. L'année 1937 a été marquée par un certain nombre d'évolutions de la voiture :
- le 1er juin : avertisseurs montés sur la boite de vitesses et disparition des grilles dans les ailes avant. La photo en haut de page montre que ma voiture est postérieure à cette date
- le 1er octobre : disparition de la montre dans le tableau de bord. Compteur avec montre intégrée
La probabilité que la voiture soit sortie des chaines entre ces 2 dates est donc assez forte.
Mais d'autres éléments viennent infirmer cette hypothèse :
- Sur la photo du tableau de bord ci dessus, on entrevoit le comodo à dé
- La canne de frein à main est en métal chromé coudé
- Le cadre de pare-brise est en aluminium
- la commande d'ouverture de pare-brise est du type renforcé (photo ci dessous)
- La calandre est en acier.
Ces 5 points sont tous caractéristiques des modèles sortis après le 1er octobre 1937. Mais on peut aussi remarquer qu'il s'agit là d'éléments susceptibles de casser mais aussi très faciles à remplacer. Il est donc fort possible que durant les quarante premières années de la vie de cette voiture certains de ces éléments aient été changés.
Sur le jambonneau droit, j'ai bien relevé le numéro 76268, mais je n'ai trouvé nulle part d'indications utiles au sujet de ce dernier.
En conclusion, il est donc fort probable que la voiture soit une "7c" datant de juin 1937, mais ce n'est pas une certitude. Seule la plaque de série aurait permis de lever le doute
D'autres points ne correspondent pas au millésime officiel :
- Les photos du haut de page montrent que les phares sont peints, ce qui ne sera vrai que pour les modèles d'après guerre
- Sur les mêmes photos, on voit que la calandre est chromée, ce qui n'était vrai que jusqu'en 35.
- les chevrons sont chromés et du modèle d'après guerre
- Les portières sont équipées de baguettes en aluminium qui ne sont apparues qu'en 1946
- La boite de vitesse date de 1950, comme on le voit sur le carter ci-dessous
- Le carburateur est un Solex Pbic 32 seulement apparu en 1950
- Les clignotants et le feu sur l'aile arrière droite qui ont été rajoutés pour rendre la voiture conforme à la législation du 1er mai 52.
- L'apparition des roues pilotes, s'est accompagnée d'un élargissement des ailes arrières, sur mon véhicule, les ailes sont encore des ailes fines
- Les phares sont de 2 modèles différents : un cibié et un marchal, de diamètre légèrement différents ,l'un avec un support plein, l'autre un support plein.
- On peut noter aussi une autre "amélioration" du véhicule: l'absence de trappe d'auvent.
Il y a sans doute encore d'autres éléments qui m'ont échappé.
Pour conclure cette présentation, il s'avère donc que ce véhicule, comme sans doute beaucoup d'autres de son époque a subi un certain nombre de transformations, dont certaines pour l'embellir ( calandre chromée) ou l'améliorer, mais aussi d'autres pour le réparer (boite de vitesses). Dans les années qui ont suivi la guerre, on s'embarrassait sans doute peu de rechercher des pièces conformes au millésime de la voiture, l'essentiel était de disposer d'un véhicule apte à rouler, quitte à "bricoler" à l'aide de ce que l'on avait sous la main. La transformation la plus importante étant évidemment le remplacement du moteur, qui a fait passer la voiture de la série "7" à la série "11" . C'est aussi probablement lors de cet échange que la plaque de série a "disparu". J'ignore quand ce changement a été effectué, mais il est antérieur à 1970, car la carte grise actuelle (voir photo ci dessus) indique le numéro d'immatriculation précédent , qui est le même que l'actuel (ce qui signifie que les caractéristiques de la voiture n'ont pas changé).